Troubles du comportement alimentaire : faisons la part des choses

C’est un de ces domaines où il est important de ne pas « tout mélanger », tant on aurait tendance à mettre sous le même chapeau les mauvaises habitudes alimentaires, les boulimies de l’adolescence, les boulimies névrotiques qui sont de véritables addictions, jusqu’à ces boulimies-anorexies dont on fait une véritable entité alors qu’elles présentent justement l’inconvénient d’associer sous le même vocable deux pathologies qui n’ont rien à voir entre elles, tant sur leur origine que sur leur pronostic. Nous allons donc essayer de voir clair en distinguant les différentes manifestations regroupées dans ces « troubles du comportement alimentaire ».

1°Les mauvaises habitudes

Nous les connaissons bien : le plateau-repas devant la télé, les cacahuètes à l’apéro, le cornet de popcorn dans une salle de cinéma, … tout ce qui fait qu’aujourd’hui le grignotage fait partie de la vie quotidienne.

Cela commence très tôt, puisque des préados glissent dans l’obésité pour avoir passé des après-midi devant la télé avec leurs barres chocolatées, alors qu’ils auraient pu jouer au football ou s’éclater au skatepark avec leurs copains. On ne dénoncera jamais assez les conséquences de cette « bad food » sur des enfants qui se trouvent dès lors exposés aux risques du diabète et du cholestérol, des troubles qu’on pouvait penser réservés à l’âge mûr.

2° La boulimie de l’adolescence

On pourrait la qualifier de « commune », dans la mesure où elle est relativement banalisée, répondant au même processus :

– difficulté d’accepter une image du corps qui se transforme,

– identification à des modèles médiatiques elles-mêmes obsédées par leur silhouette,

– compétitions entre copines.

D’où des mesures drastiques : « Ça a commencé par un régime », disent-elles toutes, Un régime draconien que par définition, elles ne peuvent pas tenir. D’où le basculement dans la crise boulimique qu’on pourrait représenter comme la rébellion de l’organisme contre un vécu de privation insupportable. Le terme de « crise » est important parce que c’est lui qui caractérise la boulimie : l’absorption d’une quantité de nourriture – de quelque nature qu’elle soit – en un minimum de temps, avec le sentiment de ne pas pouvoir s’arrêter. D’où le fait que la crise de boulimie soit le plus souvent suivie de mesures drastiques et notamment de vomissements censés en annuler les effets. Alors, quelle conduite tenir pour des parents confrontés à ce comportement aberrant qui, de surcroît, s’accompagne souvent de désintérêt pour toute autre préoccupation que celle -obsédante- de la nourriture ? Nous nous pencherions pour une intervention « a minima » dans la mesure : où toute action coercitive risque de se heurter à la rébellion propre à cette période où la boulimie de l’adolescence a des chances de disparaître avec la période qui l’a engendrée, sauf à devenir cette boulimie d’habitude que nous risquons de retrouver à l’âge adulte, et que nous évoquerons sous le terme de « boulimie d’addiction ».

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3° L’addiction boulimique

La persistance des troubles boulimiques au-delà de l’adolescence pose des problèmes plus graves dans la mesure où : – on peut supposer que la boulimie intervient comme symptôme d’une fragilité névrotique sous-jacente, auquel cas elle justifiera une intervention de type psychanalytique, – elle interviendra comme une forme d’addiction, destinée à colmater toutes les difficultés de l’existence, auquel cas il conviendra de faire appel aux thérapies de l’addiction. Soit à une thérapie comportementale, soit à la sophrologie. Dans les deux cas, on y retrouvera sous des modalités différentes, les mêmes approches :

– Changements d’habitudes : ex. ne pas rentrer chez soi tous les soirs à la même heure,

– Détournement de certains aliments particulièrement nocifs,

– Visualisation de la scène boulimique : se voir faire » Auxquelles on associera, particulièrement en sophrologie :

– une prise de conscience de la « fonction » assumée par la nourriture boulimique

– une dissociation entre l’image du corps vécue de façon négative et le corps « réel » qui peut faire l’objet d’une réappropriation sous un autre mode que le remplissage et la « vidange » boulimique.

4° L’anorexie

Nous avons déjà annoncé qu’il s’agissait d’une pathologie grave, prenant sa source dans l’histoire infantile – ce qui signe son caractère névrotique – et dans laquelle le processus vital se trouve engagé (10% de mortalité). Les signes annonciateurs sont très reconnaissables et méritent d’alerter l’entourage d’autant qu’ils mettent en cause l’équilibre familial (on peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas une de leurs raisons d’être) :

– refus de partager les repas

– mesure rigoureuse des apports caloriques

– surveillance obsessionnelle de la balance.

Les troubles physiques ne tardent pas à apparaître :

– perte de poids importante, de l’ordre de 25% au-dessous de la normale (inférieur à 40 Kg) maigreur d’ailleurs peu reconnue par l’adolescente qui continue à « se voir grosse » (dysmorphophobie),

– fonte musculaire et carences de tous ordres,

– aménorrhée et désinvestissement de la sexualité. Curieusement, cet affaiblissement apparent s’accompagne d’un surinvestissement de l’énergie dans les activités physiques et intellectuelles

– ce qui distingue radicalement l’anorexique de la boulimique, plutôt encline à la passivité.

Les troubles physiques de l’anorexie sont également accompagnés d’une modification du caractère :

– perfectionnisme,

– rigidité de la pensée,

– effort pour contrôler l’entourage, voire à le manipuler,

– difficulté à exprimer ses émotions.

Autant de traits qui d’ailleurs survivront à la « pseudo-guérison » définie par la reprise du poids et d’une alimentation normale. On reconnaît toujours une « ex-anorexique ».

TCA

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Alors, que faire ?

Que faire face à cette adolescente qui risque de se laisser « mourir de faim » ? Le plus souvent, le « psy » ou le médecin consulté conseilleront l’hospitalisation. Et ils auront raison…même si la mesure peut paraître draconienne, d’abord pour des considérations de survie (recours à l’alimentation parentérale). Et puis, parce qu’il est nécessaire de séparer la patiente d’un milieu familial qu’elle a appris à manipuler au point d’y entretenir sa maladie. Il est indispensable qu’en dehors de ce cocon devenu toxique, elle réapprenne des règles élémentaires de survie et de vie tout court. C’est à quoi se consacrent certains centres spécialisés comme l’Institut Montsouris (Paris).

Pour autant, on ne va pas se contenter de protéger : on va essayer de traiter. Et pour ce faire, de remonter aux sources de l’anorexie – le plus souvent, il va s’agir d’un « avatar » de l’Œdipe : La fille (c’est presque toujours une fille) se trouve dans une relation d’emprise fusionnelle avec la mère, dont elle va essayer de se détacher parce qu’elle la ressent comme mortifère. C’est alors qu’elle va se tourner vers le père vécu comme un père idéal, lequel va se montrer impuissant à la défendre, soit parce qu’il n’en a pas la force, soit parce qu’il n’est pas conscient de ce qui se passe, soit parce qu’à juste titre – il n’est pas prêt à céder à cette entreprise de séduction, à laquelle sa fille le soumet. Dès lors, celle-ci n’a pas d’autre ressource pour se rendre « intéressante » que cette anorexie qui va devenir, pour des années, le centre de toutes les préoccupations familiales.

Dès lors, deux solutions se présentent :

1  une approche psychanalytique qui va permettre à l’intéressée de comprendre « ce qui s’est passé »,

2  une thérapie familiale qui, a priori, peut se justifier de part le rôle même du contexte familial et la place tenue par l’anorexique au sein de ce système. Pour ma part, je n’y suis pas très favorable, compte tenu de l’usage presque pervers que peut en faire l’anorexique, à savoir un règlement de comptes.

Quoi qu’il en soit et comme je l’ai évoqué, il est rare qu’on puisse déclarer une anorexique « complètement guérie », ne serait-ce que parce qu’il est des périodes comme la grossesse et la maternité propices à la résurgence d’anciens fantasmes.

5° L’orthorexie

A première vue, l’orthorexique ressemble à l’anorexique : même maigreur, même visage émacié, même restriction drastique de nourriture : une pomme ou un yaourt par jour. Si ce n’est que le piège est différent. L’orthorexique n’en est pas arrivée là par souci de minceur, mais par le soin qu’elle a de sa santé, autrement dit par la crainte de « mal manger ». Et c’est en ceci que l’orthorexie – le mot est d’ailleurs récent – peut être considérée comme une maladie de société. Elle est en quelque sorte la conséquence logique et absurde de notre fameux principe de sécurité.

Donc, l’orthorexique est gouvernée par le souci de « manger juste ».

Le problème est qu’à force de se tourner vers des nutritionnistes de toute obédience, elle se trouve aux prises avec des injonctions contradictoires qui l’amènent progressivement à éliminer de son alimentation tout ce qui pourrait présenter une ombre de suspicion. On en arrive à une véritable phobie de la nourriture aux termes de laquelle tout aliment est présumé dangereux. Dès lors, le traitement approprié va rejoindre le traitement des phobies : désensibilisation progressive sur le versant comportemental ou sophro-correction sérielle en sophrologie s’agissant qu’il conviendra de lui adjoindre la révision des croyances erronées. .

En conclusion

En conclusion, nous voudrions dire que ces troubles du comportement alimentaire, qui prêtent parfois à la caricature, sont à prendre très au sérieux. D’une part, ils sont capables d’envahir toute une existence, au point d’en perdre le sens. D’autre part, on se rend bien compte qu’ils ont affaire à des sentiments aussi archaïques que le rapport à la mère nourricière et à des fantasmes aussi fondamentaux que ceux qui concernent l’image du corps. C’est d’ailleurs sans doute cette double proximité qui explique leur prévalence chez les filles et leur survenue à cette période de mutation que constitue l’adolescence.

L’équipe Nutrika.fr